Pas si facile de retrouver le chemin de l'écriture. Je veux dire de l'écriture d'ici. J'ai perdu l'habitude. J'ai perdu la main. Je ne croyais pas que cela m'arriverait. Je pensais qu'écrire, c'est comme faire de la bicyclette : ça ne s'oublie pas. Mais est-ce vraiment le cas ? Si cela l'était, cela voudrait dire qu'écrire sur soi est un geste naturel et spontané. Il suffit de poser les pieds sur les pédales et on sait commencer bouger les jambes pour avancer. Mais suffit-il d'ouvrir la page blanche pour savoir ce qu'on veut y écrire ?
Dans un petit mois, cela fera dix ans que j'écris ce journal sur Internet. 10 ans, c'est presque la durée de l'éternité ! Au début, j'ai écrit souvent. 4 ou 5 fois par semaine environ. Il y avait beaucoup de légèreté, voire d'insouciance (autant que mon esprit analytique peut en témoigner du moins). J'écrivais d'abord pour m'amuser. Puis aussi pour communiquer. Puis surtout pour mieux comprendre ce que le passage du temps faisait de moi. Les années ont passé et, petit à petit, j'ai écrit moins souvent. J'avais un amoureux. Je voulais être avec lui, et pas devant l'écran froid de l'ordinateur. Et puis je m'étais aperçue que je m'en fichais de communiquer et d'entrer en relation avec autrui. Ce que je cherchais via mon journal, c'était toujours mieux me comprendre - aller jusqu'au bout de mes émotions, mettre des mots sur mes sensations et, encore et toujours, arrêter ce fichu temps qui n'arrête pas de passer.
Je fais ce petit résumé de l'histoire de mon journal de mémoire. Je n'ai pas le courage de fouiller mes archives et de relire celle que j'étais. J'ignore en combien de pages s'est alignée ma vie dans les "Regards". J'ai toujours été mauvaise comptable et je doute qu'un jour j'ai le courage de comptabiliser tout cela. C'est écrit, c'est quelque part existant et c'est cela seul qui importe. Des bribes de ma vie sont arrêtées dans ces lignes, dans ces pages − et peut-être aussi dans la mémoire des lecteurs qui m'ont accompagnée de loin ou de près.
En dix ans, j'ai changé. Forcément. En dix ans, mon écriture a changé. Inévitablement. J'aime à croire qu'elle s'est améliorée, qu'elle a pris de l'ampleur peut-être. Pendant dix ans, j'ai écrit ici parce que je ne pouvais pas faire autrement. Parce que c'était nécessaire. Vital. Essentiel. Urgent. J'ouvrais chaque fois une nouvelle page pour écrire tout ce qui ne pouvait pas se dire, pour mettre en forme tout ce qui était informe, pour achever tout ce que je sentais imparfait en moi. Toutefois, dans un coin de ma tête, je me disais que ce journal était mon cahier d'écriture, et pas seulement mon cahier de vie : qu'en faisant des lignes chaque jour, j'apprenais non seulement à mieux comprendre, à mieux sentir, mais aussi à mieux écrire. C'était mes lignes du soir, comme celles de l'enfant qui apprend à former les lettres sur le papier et qui aligne l'alphabet sur son cahier quadrillé.
Mais en même temps, je voulais écrire pour de vrai : écrire au-delà du cercle de mon nombril, écrire pour imaginer quelqu'un d'autre que moi-même, écrire pour sortir de cette volonté égoïste d'entasser sa vie dans la mémoire des mots. Je voulais tout cela, mais je n'avais qu'un constat : celui de mon échec. J'écrivais ici mon incapacité à écrire et pendant que j'écrivais mon échec, je n'écrivais pas vraiment.
Ces derniers mois, sans m'en apercevoir j'ai cessé d'écrire ici. Et j'ai écris ailleurs. J'ai écris loin de moi. Des histoires, des contes, des mondes inventés. Pas grand chose, mais quelque chose quand même. Des histoires qui ressemblaient à des projets - presque à des espoirs. Pourtant, je continuais de douter. Je me disais : est-ce que ce que j'écris vaut quelque chose ? est-ce que cela intéresse quelqu'un ? ai-je les bons mots, la bonne narration, le bon rythme ? Mais, au lieu d'ouvrir une page de ce journal pour dire ma peur et mes doutes, j'essayais de les oublier suffisamment pour passer à l'histoire suivante.
Pendant dix ans, j'ai écrit ici. Et maintenant, je me demande si en écrivant ici je ne me condamnais pas à ne jamais pouvoir réussir à écrire là-bas. Les deux écritures ne sont-elles pas antinomiques ? Peut-on à la fois écrire sa vie et trouver la même énergie à écrire la vie de personnages qui n'existent pas ? Je veux dire : est-ce qu'en mettant tous mes mots dans le récit journalier de ma vie, je ne me suis pas condamnée à ne pas trouver la voie d'une écriture capable d'aller plus loin que moi-même ?
Je ne sais pas.
Regards extérieurs, c'est ici !
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Il y a deux ans. Il y a trois ans. Il y a quatre ans. Il y a cinq ans. Il y a six ans. Il y a sept ans. Il y a huit ans. Il y a neuf ans. |