Lundi 28 septembre 2009

Le silence n'est pas d'or

Il a parlé. Parlé. Quelques mots, presque rien, et pourtant déjà tant. Il a parlé et j'ai compris ce que je m'efforçais de ne pas voir : la parole est une victoire. Voilà des semaines, des mois, des années peut-être que le silence s'était installé. Je lui avais fait une petite place confortable, toute ouatée, presque enviable. Le silence était là et régnait en maître. Certes, je bavardais. Je laissais glisser les mots dans un babillage léger et inconséquent. Je laissais croire que. Je faisais penser que. Mais même en plein bavardage le silence peut peser lourd. Il est des paroles qui ne disent rien, alors que d'autres ont le pouvoir de tout révéler. Mais ces paroles-là, celles qui disent tout, semblent parfois lourdes à porter. Ces paroles-là me faisaient peur. Alors, je ne disais rien. Pendant des semaines, des mois, des années peut-être, je ne disais rien. Et je laissais le silence creuser le temps. Je ne suis pas courageuse, je le sais. Il l'a été pour moi.

Il a parlé. Et moi aussi j'ai parlé. Mais les mots pèsent et je ne sais comment les porter - sur quelle épaule les poser, de quel côté les tourner. Je suis une fille du silence. J'ai traversé mon enfance dans le silence. J'étais la petite fille qui se cache derrière les jupons, celle qui se fait oublier, celle qu'on oublie. "Oh, tu es si discrète ! Oh, je ne t'avais pas vue ! Oh, mais quel son a ta voix ?" J'ai traversé les âges sans rien dire. Le silence m'est plus naturel que la parole. Les mots, parfois, m'effraient tant. Puis j'ai grandi. Lorsque je n'avais rien à dire, je me taisais. Lorsque je n'étais pas sûre de ce que je voulais dire, je me taisais. Lorsque les autres parlaient, je me taisais. Et puis, lorsque je n'osais pas dire, je me taisais aussi. Parfois, je disais tout de même quelque chose. Et alors, c'était les autres qui se taisaient et soudain, on disait de moi : "ah, elle ne parle pas beaucoup, la petite, mais quand elle parle elle sait viser juste !" Je souriais et je repartais dans mon silence. Le silence est si confortable. Entre soi et soi, les mots ne peuvent pas se perdre, ni se diluer. Entre soi et soi, la vérité ne peut pas se percer un chemin trop dangereux. Silence, ma douce maison, mon joli repos.

Il a parlé, j'ai parlé. Puis il a ajouté : "pourquoi ne l'as-tu pas dit plus tôt ?" J'ai pleuré, bien sûr. Les pleurs sont l'enveloppe du silence. Lorsque les mots ne viennent pas, ils s'écoulent là, doucement, sur les joues, en gouttes salées. Ce n'est pas forcément de la tristesse. C'est juste des mots qui ont du mal à se former et qui donc deviennent liquides. Les mots coulent plus facilement lorsqu'il se baignent au coin des yeux.

Mon silence ressemble à une cachette. Mais je ne me cache pas simplement aux autres. Je me cache à moi-même. Comment dire ce que je ne dis pas à moi-même ? Comment extérioriser dans des mots ce que je n'arrive pas même à sortir de moi ? Les mots se coincent dans la gorge parce que les idées se coincent aux portes de ma conscience. J'ai tant de secrets que je tiens dissimulés au fond de moi-même. Parfois, je veux dire, mais je ne peux pas. Les silences les plus lourds sont ceux qu'on tient au creux de soi. Comment avouer à autrui ce qu'on n'ose s'avouer à soi-même ?

Mais je le sais : le silence n'est pas une fatalité, le silence n'est pas une prison. Lorsque lui, l'homme que j'aime, a parlé, moi, celle qu'il aime, ai pu enfin parlé. Parlé. Et peut-être enfin lui montrer que la porte de mon silence est entrebâillée. Entre deux mots sortis de l'oubli, je crois qu'il va pouvoir se faufiler.

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