Il a fallu remplir et vider trois fois le camion de 9 m3 pour y mettre tous nos meubles et toutes nos affaires (enfin, en vérité, les 3/4 étaient exclusivement à moi !). Désormais, la majeure partie des meubles sont entassés dans le séjour et la totalité des cartons dans le couloir. C'est la seule solution tant que les chambres ne sont pas finies. Au début, j'ai un peu râlé, parce qu'il fallait que je fouille dans les cartons pour attraper mes vêtements. Et puis finalement, en m'organisant, je trouve que ce n'est pas si gênant. Il suffit juste de bien regarder où on met les pieds le soir, pour ne pas cogner dans un pot de peinture ou un escabeau en allant se coucher !Je me suis aperçue avec effarement que cela faisait le quatrième déménagement-emménagement que je racontais dans ce journal. A croire que j'ai une vie chaotique. La vérité, c'est aussi que j'écris ici depuis longtemps. Je me rappelle les premières nuits dans tous ces appartements dans lesquels j'ai vécu ces dernières années : le beau studio sous les toits avec vue sur la cathédrale à Evaville, le grand duplex de Veupasyalléville, le petit deux-pièces que nous quittons aujourd'hui... Cette première nuit dans un appartement inconnu a toujours quelque chose de spécial - inquiétant et excitant tout à la fois : c'est une sensation mélangée d'enthousiasme et de peur à l'idée de dormir dans un lieu inconnu et de découvrir des petits bruits presque troublants qui, très vite, deviendront des habitudes.
Je me souviens très bien de tous ces bruits. A Evaville, ce qui m'avait tout de suite frappée et auquel il avait fallu quelque temps pour m'habituer, c'était les cloches de la cathédrale. Elles paraissaient si proches, comme si c'était elles qui étaient désireuses de ponctuer ma nouvelle vie de professeur pour lui donner un ordre rassurant. A Veupasyalléville, c'était les roucoulements des pigeons dont les parades amoureuses me réveillaient au matin. Je regardais les pigeons s'accrocher au vélux, trébuchant sur les ardoises et je m'amusais en observant l'excitation d'Hannah : mon chat semblait toujours prêt à bondir sur ces oiseaux citadins bien trop bavards. Un an plus tard, dans la ville où nous nous sommes installés, O. et moi, on n'entendait plus les pigeons. D'autres bruits étaient venus ponctuer notre quotidien : le soir, c'était la fermeture un peu brutale du rideau métallique de l'épicier arabe d'en face, aux alentours de 23 heures ; et le matin, dès 7 heures, c'était le passage du camion-poubelle, un peu trop matinal pour nos habitudes paresseuses.
Ces bruits sont désormais pour moi des souvenirs du passé. Des souvenirs sonores des endroits que j'ai traversés et qui m'ont accompagnée quotidiennement. Depuis samedi, je découvre maintenant mon nouvel univers sonore : le fracas sourd et lointain du passage du train sur la voie ferrée, la sonnerie étouffée à la gare toute proche, et puis aussi la trompette du voisin musicien qui semble infiniment consciencieux face à ses partitions. Je découvre mon nouvel appartement par mes oreilles. Petit à petit, j'apprivoise les bruits étrangers. Chaque jour déjà, je me sens un peu plus chez moi - pardon, chez nous.