Lundi 31 janvier 2011

Irréversible

L'autre nuit, j'avais les yeux grands ouverts dans le noir et je pensais. Voilà plus de six mois qu'une bonne partie des nuits j'ai les yeux grands ouverts dans le noir et je pense. Les insomnies ne s'arrêtent pas devant la porte de la chambre à coucher. Vers deux heures du matin, parfois un peu plus tard vers quatre ou cinq heures, elles se glissent dans le lit et, sans rien dire, viennent se coller à moi. Juste à moi. Pendant ce temps, Mina, au bout du lit, continue de dormir et, à mes côtés, j'entends la respiration régulière de O. Ces insomnies sont énervantes. Alors je me tourne, dans un sens, dans l'autre, pour qu'elles s'en aillent. Mais au bout d'un moment, je suis tellement énervée qu'elles ne risquent pas de partir. Je n'arrive à rien d'autre qu'à les tenir un peu plus éveillées près de moi. J'ai chaud. Je me découvre et j'ai froid. J'ai envie d'aller aux toilettes. Je me lève. Et puis j'ai soif. Par la fenêtre de la cuisine, tout est éteint. Tout le monde dort, sauf moi. Je me recouche. Mina n'a pas bougé. Je dors moins que mon chat, c'est pas juste.

L'autre nuit, donc, je pensais. Je pensais, Tout ça, tout ce qui m'arrive, c'est un coup d'irréversibilité. Partout, on vous apprend que rien n'est irréversible, que tout passe, que tout s'efface. Et puis voilà, vous apprenez qu'il y a un bébé qui va naître et vous attrapez l'irréversible en pleine face. C'est ce qui m'a fait peur au début, au tout début. J'avais encore le bâtonnet de plastique dans la main et je me suis dit, Mince, je ne peux plus reculer, je ne peux plus changer d'avis. Je me suis dit, Mince, dans moins de neuf mois il y aura un autre petit être sur terre et je n'aurai aucun pouvoir sur son existence. Il sera là pour toute une vie. Une vie certainement plus longue que la mienne. Ça m'a donné le vertige. O. et moi, on avait fabriqué de l'irréversible et de l'éternel. À deux, quasiment sans s'en rendre compte. Comment est-ce possible ?

Ce matin, je suis allée à mon avant-dernier cours de préparation à la naissance. Pas mécontente que cette préparation se termine enfin. J'en avais un peu marre de tout cela : l'attente du bus dans le froid, les filles au gros ventre assises par terre sur des coussins autour de moi, la sage-femme dans sa tenue rose et ses pieds nus dans des mules. Aujourd'hui, la sage-femme a parlé de ce qui se passe après l'accouchement. Le sang qui coule, la fatigue, le périnée qu'il faut remettre au travail. Et puis le bébé qui, soudain, est là. La sage-femme a dit, Dès la salle de naissance, l'enfant est dans vos bras pour la première tétée, si vous avez choisi d'allaiter. Ça m'a fait si bizarre tout à coup. Comme si pour la première fois je découvrais qu'à la fin de toute cette histoire, il y avait un bébé. La sage-femme continuait d'expliquer et disait, Le bébé tète à pleine bouche, mettant toute l'aréole du sein entre ses lèvres. Et moi j'avais l'impression de me rendre compte soudain qu'il y aurait là tout bientôt – dans un mois, dans deux semaines, peut-être demain – un tout petit bébé qui attraperait mon sein à pleine bouche. Et que ça, ça serait irréversible.

C'est long d'apprendre à devenir maman.

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