Mercredi 11 mai 2011

Le temps passe

Le temps passe. Le printemps s'est si bien installé qu'il a des allures d'été. Dans une semaine, la Sardine aura trois mois. Dans une semaine, je devrais reprendre mon travail si je n'avais pas jouer les prolongations en posant des jours de congé et pris la décision de transformer les deux mois d'été en congé parental. Après avoir passé plus d'une quarantaine de coups de fil, j'ai enfin trouvé une nounou. À partir du 1er septembre, mon bébé sera de 9 h à 18 h, du lundi au vendredi, dans les bras de Nounou Claudine.

Le temps passe. J'ai commencé à faire un tas avec les vêtements trop petits. Et de la grande boite en plastique j'ai sorti les vêtements de taille 3 mois, sélectionnant également les 6 mois taillant un peu petit. Une main sur le tire-lait, l'autre main sur l'ordinateur, je fais défiler les pages affichant les "capacités du nouveau-né". Je scrute les progrès de ma Sardine. Je tape dans Google "tient sa tête âge" ou bien "attrape objet âge". Je cours au-delà du temps, dans l'impatience de voir mon bébé grandir et s'éveiller, sans me soucier encore de la nostalgie qui, peut-être, un jour s'installera. Dans le square, je regarde les enfants jouer autour du bac à sable. Dans un visage brun ou dans les premiers pas mal assurés d'un bambin souriant, je guette ce qui m'attend. Je regarde ma petite qui dort dans sa poussette et je m'interroge : "sera-t-elle comme cette petite fille ? aura-t-elle pour amoureux un petit garçon comme celui-là là bas ?" Le temps est long et court à la fois. Je voudrais que la Sardine marche déjà. Et je voudrais aussi qu'elle ait toujours deux mois et vingt jours comme aujourd'hui.

Le temps passe. Et je marche à côté du monde. Ces journées entières passées à la maison, à écouter au lointain la vie des gens qui respire, s'étirent parfois très longuement. Dès 18h30, je guette la porte d'entrée. J'attends O. J'attends qu'il revienne du travail avec sa barbe de trois jours à laquelle s'est accrochée la fraîcheur du monde extérieur. J'attends qu'il prenne la Sardine dans ses bras et s'exclame "le baby ! le baby !" Mais la soirée prend ses aises. 19h, O. n'a pas encore tourné la clé dans la serrure. 19h30, 20h, 20h15... comme le temps est long lorsqu'un bébé pleure, excité par sa journée et ses nombreuses découvertes. À 20h30, j'entends enfin la clé dans la porte et les pas sur le parquet. Je ne tourne pas la visage vers l'entrée, je fais la tête. J'en veux autant à l'homme qui rentre tard qu'à la société qui impose à la femme de rester à la maison à attendre l'homme qui travaille.

Le temps passe. Je me suis aperçue hier soir, effarée, que cela faisait tout juste un an que j'avais eu mes règles pour la dernière fois. C'est inscrit dans mon gros dossier médical : "DDR : 13 mai 2010". C'est donc bientôt l'anniversaire de la Sardine : elle aura un an le 27 mai, si on suit la manière asiatique de compter les âges. Il y a un an, je rentrais de New York et mes hanches se glissaient sans problème dans les nouveaux jeans Levi's achetés près de Soho. Il y a un an, je pédalais sur mon vélo blanc et j'achetais la carte de la Suède en disant à tout le monde qu'on prévoyait de longer les côtes suédoises à bicyclette durant le prochain été. Il y a un an, je n'avais à prendre soin que de moi et j'avais à mon égard pas mal de négligence. Il y a un an, O. et moi fabriquions une petite Sardine sans même nous en rendre compte, dans la douceur d'une fin de printemps.

Le temps passe. Entre le moment où j'ai commencé ce texte et le moment où je le publierai pour que vous le lisiez, presque 48 heures se seront écoulées. Ma vie désormais aime les pointillés. Un appel express pour une bonne dose de lait ou un besoin urgent de câlins, et je laisse tout en plan pour accourir auprès du petit bébé qui s'agite. Ma vie ne m'appartient plus tout à fait. Et pourtant j'aime ça.

Le temps passe. Celle que j'étais il y a un an n'existe plus. Tant pis. Les morts font parfois de si belles naissances...

 

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