La fille de mes parents
O. est parti hier soir. J'avais un biberon dans les mains et au bout un bébé qui pleurait. Je n'ai même pas pu lui dire vraiment au-revoir. Au-revoir comme une amoureuse sur le quai d'une gare. Son avion a dû atterrir, de l'autre côté de l'Atlantique. Et moi, me voilà de retour chez mes parents, pour jouer les petites filles gâtées et fuir la solitude de ces quinze jours d'absence.
Pendant ces derniers jours, il y avait de la colère en moi. Une colère sourde et muette, presque incontrôlable. Contre O. m'abandonnant pour son travail, contre ses privilèges d'homme qui lui permettent de voyager tandis que moi je dois rester à la maison avec l'enfant. Contre moi-même n'arrivant pas à contrôler cette colère injustifiée. Je râlais, je pestais. Ma mère disait, Mais pourquoi es-tu grognon ? O. disait, Mais pourquoi tu fais la gueule ? Et moi je ne répondais rien et je haussais les épaules. En arrivant hier soir dans l'appartement de mes parents, j'ai continuer de râler. Parce que je n'avais pas de place dans la salle de bain pour poser mes affaires, parce que le lit parapluie de la Sardine était collé au mien dans la petite chambre à coucher, parce que ma connexion à Internet ne marchait pas. Le soir, toute seule dans ce lit qui n'était pas le mien, je me suis tournée et retournée avant de trouver le sommeil. J'entendais le bruit de moteur du radio-réveil et, à quelques mètres de moi, les coups de langue de la Sardine sur sa tétine. J'ai pensé à O., tout seul dans sa chambre d'hôtel, et je ne lui en ai plus voulu. J'en ai voulu à moi. À moi d'être éternellement insatisfaite.
Au réveil, la colère était partie. À la table du petit-déjeuner, devant ma mère en pyjama, j'ai retrouvé l'adolescente que j'étais. Sentiment étrange d'être toujours la même qu'il y a presque vingt ans, entre mon père, ma mère et mon frère. Malgré l'enfant qui dort dans le lit parapluie près de la fenêtre. D'être la même avec toujours les incertitudes, les insatisfactions et les colères. Malgré l'assurance de tenir entre ses bras un bébé qui vous regarde avec de grands yeux amoureux. D'être la même enfant gâtée et adorée. Malgré la petite fille à la peau rose qui, désormais, concurrence ma position privilégiée d'enfant prodigue.
Lorsque ma mère dit "ma fille", je pense à la Sardine. Lorsque mon père dit "Maman" en parlant à la Sardine, ma mère croit d'abord qu'on parle d'elle-même. Les générations se brouillent. On ne sait plus très bien qui est qui, qui a quel rôle. Et pourtant, je suis toujours la fille de mes parents. Toujours.
Regards extérieurs, c'est ici !
Il y a un an.
Il y a deux ans. Il y a trois ans. Il y a quatre ans. Il y a cinq ans. Il y a six ans. Il y a sept ans. Il y a huit ans. Il y a neuf ans. Il y a dix ans. Il y a onze ans. Il y a douze ans. |