Mercredi 24 août 2011

Ce que je garde

Les petits cris hoquetés dans l'obscurité matinale de la chambre ; les yeux qui piquent, éblouis par la lumière de la cuisine ; les gestes automatiques dans un demi-sommeil, dans un demi-réveil ; la sonnerie aigue du chauffe-biberon ; les petits bras qui gigotent, les lèvres qui se tordent, les pieds qui frétillent, la bouche qui gobe le biberon et soudain le corps tout entier qui s'apaise ; le rot grave et puissant, à la tonalité presque adulte et masculine ; les sourires, enfin, les sourires, toujours, le ventre apaisé, et le regard bleu qui s'illumine.

Et puis aussi : le rythme régulier du tire-lait, comme le tic-tac patient d'une horloge ; les mains mouillées dans l'évier avec le goupillon , les biberons en plastique et le parfum du Paic Citron ; le silence, Chut, il ne faut pas la réveiller, tant pis pour la chasse d'eau ; le regard sur la pendule, Combien il me reste de temps rien qu'à moi ?

Et puis encore : les petites comptines sur la table à langer, Vole vole papillon et Petit escargot porte sur son dos ; la couche lourde qui sent la chimie ; l'ouverture du tiroir de la commode pour choisir les habits du jour, Rose ou violet ? pantalon ou robe ? ; les sourires toujours ; Tape tape tape, pique pique pique, roule roule roule ; et les sourires encore.

Et puis bien sûr : les contorsions pour arriver à glisser la poussette dans l'ascenseur et à descendre les trois marches de l'entrée ; les grands yeux étonnés qui regardent la cage métallique de l'ascenseur ; la petite tête qui se lève pour apercevoir un coin de ciel bleu ; les longues balades dans la ville, Aujourd'hui je vais découvrir une nouvelle rue ; les sourires des vieilles dames, Vous avez un bien joli bébé madame, et comment il s'appelle ? ; les salles d'attente du pédiatre, de la kiné, de l'ostéopathe, de la PMI, du laboratoire d'analyses ; les balades toujours, Aujourd'hui un nouveau square ; les courses avec une main sur la poussette, la deuxième sur le sac à commissions ; les après-midi qui s'écoulent sur les bancs du jardin public et les balades toujours, Où est-ce que je pourrai aller aujourd'hui ?

Et puis aussi : les pleurs qui n'en finissent pas et les allers-retours dans le salon le bras ankylosé par le bébé hurleur ; les questions métaphysiques, Elle a mal au ventre ? elle veut faire caca ? elle a faim ? elle a chaud ? elle a froid ? elle est fatiguée ? elle a mal où ? mais pourquoi elle n'arrête pas de pleurer ? ; la clé dans la serrure qu'on semble entendre vingt fois, mais le papa qui n'arrive toujours pas ; les photos, les dizaines, les centaines de photos ; les mails écrits avec deux doigts, un enfant contre l'épaule, Regardez mon bébé comme il est beau !

Et puis malgré tout : les journées qui s'étirent, longues et impatientes à la fois ; l'angoisse sourde et indicible, Est-ce que je vais avoir le temps avant qu'elle ne se réveille ? ; l'emploi du temps minuté heure par heure biberon, tire-lait, sieste, promenade, biberon, tire-lait, sieste, biberon, bain... et ça recommence ; la fatigue qui s'accumule et le corps endolori, le soir, dans le lit, qui soupire, Et pourtant je n'ai rien fait aujourd'hui ; la solitude, fidèle compagne, toujours là.

Et puis surtout : la petite main qui veut attraper le livre que je lis ou taper sur le clavier de l'ordinateur ; les yeux étonnés qui suivent le chat marchant d'un pas feutré près du tapis de jeux ; les mails du papa, Vous me manquez ; les petites joues toutes douces sous les bisous ; la jolie peau qui sent le lait et le sommeil ; et les sourires toujours toujours toujours.

Voilà tout ce que je garde de ces presque huit mois de congé maternité.

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