Mercredi 28 mars 2012

Tombé dessus

On croit qu’Elle est partie à tout jamais. Maintenant, on est mère de famille, on est devenu adulte. La vie n’est plus qu’une chose sérieuse et importante. Pas le temps de s’apitoyer sur soi-même, pas le droit de faire preuve de faiblesse. Il y a un autre que soi qui compte sur nous. Mais non, en fait, Elle n’était pas partie. Elle était là, elle guettait perfidement. Elle n’était partie longtemps que pour mieux se faire oublier et revenir d’autant plus violemment.

Hier soir, la Bête est revenue. Elle m’a prise par surprise et ça m’a fait mal. C’est comme si tout à coup le monde était devenu instable et incertain, comme si tout était devenu difficile, comme si tout menaçait de s’effacer pour ne plus laisser qu’une obscure douleur. Pendant quelques heures, j'ai eu l’estomac au bord des lèvres : l’impression de ne rien pouvoir faire entrer en moi. Chaque geste était devenu une épreuve. Ce matin, j’ai répété à O., Récite une formule magique pour que « ça » parte, pour que je n’ai plus mal, pour que je n’ai plus cette Bête en moi qui me ronge. Je me sentais coupable et je répétais « Mais pourquoi ça m’arrive à moi ? » Pourquoi alors que tout va bien depuis des mois, que la vie est semblable à elle-même, tout à coup ça ne va plus et tout s’effondre ? Comme ça, sans qu’on ait rien fait, rien dit. Pourquoi ? Pourquoi ? O. a répondu, Ne t’inquiète pas, ça arrive à tout le monde, tu es juste fatiguée. J’ai fermé les yeux et j’ai respiré en puisant au plus profond de moi. Pour évacuer cette anxiété qui soudain m’était tombée dessus.

La Bête est là, pour la première fois depuis la naissance de la Sardine. Et plus que jamais elle est une intruse. Il n’y a pas de place pour Elle entre moi et la Sardine. Si la Bête est là, je ne peux pas m’occuper de la Sardine avec toute l’attention que je lui dois, car la Bête prend trop de place et est incontrôlable. Hier soir, j’avais chaud, j’avais froid, j’avais mal au ventre, j’avais juste envie de m’enfouir sous ma grosse couverture. Mais il y avait la petite tête blonde qui me regardait en pointant du doigt vers moi : « Mama ? », interrogeait la petite voix, avant d’enchaîner en chantant « tatatatatata ». J’ai dit, Maman est fatiguée, Maman ne peut pas jouer ce soir avec toi, va voir Baba. Mais la petite voix continuait de chanter « tatatatata » en tendant les bras vers moi et en souriant. J’ai eu soudain encore plus peur : pas de la Bête, mais de la menace de la Bête. Si je laisse trop de place à la Bête, je ne peux plus m’occuper de ma fille. La peur d’avoir peur s’est mise à prendre toute la place, menaçant « Tu n’as pas le droit d’être malade, elle compte sur toi ». Pour la première fois, en 13 mois, cette peur est apparue. Je me suis félicitée de ne pas l’avoir connue plus tôt. Mais de nouveau j’ai fermé les yeux pour respirer le plus profondément possible. Qu’Elle s’en aille, vite, maintenant, tout de suite. La peur de la Bête me vole ma fille et ce rapt est encore plus horrible que la Bête en elle-même.

L’espace de quelques heures, la Bête a toqué à ma porte. J’ai réussi finalement à ne pas la laisser entrer. Heureusement, elle est partie comme elle est venue : sur la pointe des pieds. Mais j’en ai encore des frissons.

Regards extérieurs, c'est ici !

Introduisez votre adresse e-mail
pour être averti lorsqu'un nouveau Regard sera ouvert :
InscriptionDésinscription
 
Il y a un an.
Il y a deux ans.
Il y a trois ans.
Il y a quatre ans.
Il y a cinq ans.
Il y a six ans.
Il y a sept ans.
Il y a huit ans.
Il y a neuf ans.
Il y a dix ans.
Il y a onze ans.
Il y a douze ans.