Bientôt
La tête au-dessus de mes jambes, la sage-femme a dit, Votre corps est prêt, voilà, maintenant c'est quand bébé veut. Je n'ai pas frémi, je n'ai pas tremblé. Je crois que j'ai souri, comme apaisée à l'idée qu'on y était presque. Neuf mois à attendre, ou plutôt neuf mois à oublier d'attendre, et enfin finalement c'est bientôt. Peut-être demain. Peut-être dans trois semaines. Personne ne sait, me dit la sage-femme, et il faut que vous composiez avec ça, avec cette incertitude, cette part du destin que rien ni personne ne peut maîtriser. Ayez l'illusion de maîtriser tout ce que vous pouvez, le reste vous laisserez venir.
J'ai enfilé mon jean, bien trop serré à la taille désormais. Puis j'ai pris le vieil ascenseur et ai descendu la rue d'Alésia. Mon pas était lent, ma démarche était lourde. J'avais l'impression que tout mon corps chaloupait. Arrivée à la maison, je me suis écroulée dans le canapé, comme d'habitude, serrant le grand coussin blanc d'allaitement sous mon ventre. Mina est venue se poser sur les billes du coussin, là où c'est tout mou, tout confortable, et elle s'est mise à ronronner. Je me suis souvenue combien ma petite chatte grise avait été câline lors de ma première grossesse, comme si elle savait que les mois suivants je serais moins disponible, et cette proximité retrouvée m'a fait à nouveau sourire. Puis je me suis levée, retrouvant au fond de moi un regain d'énergie cachée. J'ai sorti la grosse valise. Et les caisses transparentes avec les petits habits. Certains vêtements sont un peu râpés, un peu défraîchis (toi qui viens en deuxième, ne m'en veux pas), d'autres n'ont jamais été portés. J'ai fait des tas, lancé des machines, coché des cases sur des listes, préparé plusieurs sacs (un pour moi, un pour le bébé, un pour l'aînée). J'ai pensé à tout – emballer les cadeaux de la Sardine quand celle-ci devra aller chez ses grands-parents, glisser un paquet de gâteaux pour le papa en cas d'estomac affamé, préparer les enveloppes à la CAF ou à la CPAM en collant des post-its "à envoyer après la naissance", faire des listes de numéros de téléphone pour Mamie et pour Nounou... Je souriais toujours. Me voir ainsi si organisée, si prévoyante. Étais-je ainsi avant ou bien ai-je muté grâce à mes deux années et demi de métier de maman ?
Le soir, en arrivant, la Sardine a vu la grosse valise qui attendait par terre dans notre chambre. Je lui ai expliqué, Tu sais, bientôt, Maman va partir quelques jours pour donner naissance à Petite Sœur. La petite fille m'a regardée. Elle avait l'air de comprendre. Elle a soulevé mon tee-shirt et elle a demandé, Dis, Petite Sœur, tu sors bientôt ? À deux ans et demi, on ne sait pas vraiment ce que veut dire "bientôt". À neuf mois de grossesse, on ne sait pas vraiment non plus.
Ce ne sont pas tout à fait les heures douces, comme il y a plus de deux ans. Ce n'est pas le printemps qui s'en vient, mais l'été qui s'en va. Le temps est gris, la fatigue est pesante, le matin et le soir sont bruyants et remuants. Mais au fil des jours, les heures deviennent un peu plus sereines. Je coche les points de ma liste "À faire" et à chaque case cochée je deviens un peu plus légère. Est-ce que ma crevette arrivera quand j'aurai mis une croix devant tous les points de ma liste ? Le tourbillon de cet été étrange, plongé dans les papiers et les échéances stressantes, commence à s'apaiser. Mon bébé est là, il m'a attendu. Il a attendu que je pense enfin à lui. Et maintenant, un peu plus chaque jour, c'est à lui que je pense. Je suis presque prête.
Bientôt. Peut-être demain. Peut-être dans trois semaines. C'est toi qui décide.
Regards extérieurs, c'est ici !
Il y a un an.
Il y a deux ans. Il y a trois ans. Il y a quatre ans. Il y a cinq ans. Il y a six ans. Il y a sept ans. Il y a huit ans. Il y a neuf ans. Il y a dix ans. Il y a onze ans. Il y a treize ans.
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