Lundi 22 mars 2004

Version 2004
Salon du livre, version 2004. Je m'étais dit que je n'irais pas cette année. Pas envie de retrouver toujours cette gigantesque foire aux livres où il est question de tout sauf finalement de littérature. Pas envie d'affronter encore la cohue et la chaleur étouffante des allées bondées. Pas envie de contempler encore une fois cette surproduction exagérée de livres et d'avoir à me dire que sortir un livre, c'est forcément sortir un livre de plus, c'est-à-dire se condamner à se perdre dans une botte de pages imprimées.

Je ne voulais pas y aller. Mais cette année, j'y étais presque obligée. Le salon du livre, cette année, devait être pour moi non plus le miroir d'une bibliothèque, mais un espace un peu hybride rassemblant un catalogue géant et une ANPE implicite. Alors j'y suis allée quand même. Comme les autres années. Mais en même temps pas du tout. En un an, j'ai fait tant de chemin...

Il y a deux ans, j'allais là bas juste en observatrice. Pour voir de loin un monde inconnu, tout aussi séduisant que rebutant. Entre fascination et rejet, j'allais là bas pour rencontrer de loin des stars du livre, sans vraiment prendre conscience de ce qui pouvait se cacher derrière ces pages imprimées. L'année dernière, déjà, j'avais troqué mon oeil d'observatrice contre un regard un peu averti. J'accompagnais Steffie qui prospectait plus ou moins pour un éditeur acceptant de publier le manuscrit qu'elle avait traduit et j'avais retrouvé Kolok qui portait son badge de "professionnel" sur le revers de sa veste. Steffie m'avait entraînée avec O. à une lecture publique d'Annie Saumont, un de ses écrivains préférés (à juste titre). J'avais ramené quelques catalogues d'éditeurs, et, de retour à la maison, je les avais feuilletés en murmurant : "oui, peut-être, pourquoi pas...". Mais à ce moment là, je n'avais pas encore osé oser. C'était encore si loin, tout ce monde du livre.

Et puis cette année, me voilà munie d'une invitation de "professionnel de l'édition". Non seulement je ne paye pas ma place, mais je passe devant tout le monde aux caisses. Je ne choisis pas un week-end pour aller au salon, mais le lundi, déclarée officiellement "journée des professionnels". C'est comme si j'avais avancé d'un pas, déjà. Sur les stands, je regarde moins le contenu des ouvrages que leur forme. Je dis à la copine qui m'accompagne : "tiens, regarde comme la police est mal choisie sur ce bouquin" et elle me répond en m'entraînant vers un stand : "tu connais cet éditeur ? t'aimerais pas travailler chez lui ?" Mon oeil, maintenant, est devenu technique. Je sais comment on fait un livre. Ce n'est plus un produit plus ou moins magique, somme de fascinations et de séductions. L'objet a acquis pour moi aujourd'hui une réalité matérielle presque aussi importante que son existence spirituelle. Je ne rêve plus autant sur les livres. J'ai mis de côté le fantasme de n'avoir pour lien avec le livre que l'écriture, l'illusion d'être auteur sinon rien. J'ai troqué mes rêves de publication contre des espoirs de création éditoriale. A défaut d'écrire (pour le moment) dans les livres, je sais que je veux fabriquer les livres écrits par d'autres. Aujourd'hui, j'ai presque changé de métier. Et tout est tellement clair pour moi.

Sauf que... Sauf que je n'ai pas de vrai boulot. Sauf que je gagne 200 euros par mois pour travailler sur des livres qui ne me ressemblent pas. Sauf que je ne sais pas si j'arriverai bientôt à vivre de mon nouveau métier.

Mais enfin, ma vie a tellement changé en un an. Ne me suis-je pas approchée un peu plus près de mes désirs ? N'ai je pas réussi à oublier mon ennui et mon malaise ? Est-ce que je ne sais pas un peu mieux ce qui est fait pour moi, ou, ce qui revient finalement au même, ce pour quoi je suis faite ?

Annie Saumont
Annie Saumont, au salon du livre 2003



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