J’ai envoyé mon manuscrit à cinq maisons d’édition différentes. J’ai obtenu à ce jour quatre réponses – quatre réponses négatives. Trois lettres types (dont une s’excusant même d’être une lettre type !) et une lettre personnelle. Cela donne bien à voir comment marche l’édition : cette réponse personnalisée, je l’ai obtenue de la seule personne que je connaissais un tant soit peu pour l’avoir rencontrée à une conférence littéraire. Pour les autres éditeurs, je n’étais qu’un apprenti écrivain anonyme – venu de nulle part, sans visage, sans voix. Mon manuscrit a dû s’entasser au dessus des autres. A-t-il seulement été lu par une autre personne qu’un stagiaire en maîtrise de lettres et payé au rabais ? Pour avoir été à la place de ce stagiaire, je ne sais que trop comment cela se passe.Partout la réponse a été « non ». Je suis un petit peu déçue – forcément. Un peu honteuse aussi. J’ai honte d’avoir pu imaginer, ne serait-ce que l’espace d’un instant, que ce que j’avais écrit pouvait avoir plus de valeur que les autres, que mon manuscrit sortirait du lot et attirerait l’attention. J’ai honte aussi de ma présomption et de mon orgueil : pouvais-je vraiment croire qu’un texte écrit en 15 jours, entre deux boulots, pourrait être abouti et parfait du premier coup ? Pour quoi me suis-je prise ?
Mais dans ma déception, je suis tout de même contente. Contente parce que je sais que mon roman a été lu par une éditrice renommée dans son domaine qui a pris le temps de me répondre en m’écrivant une lettre personnelle. J’ai reçu cette lettre il y a une heure à peine et pourtant je l’ai déjà relu plus d’une dizaine de fois. J’ai même pris des notes en recopiant dans un tableau à deux colonnes d’un côté les points positifs et de l’autre les points négatifs. Un peu comme lorsque je recevais une mauvaise note en classe et que j’essayais de comprendre ce qui n’avait pas été en déchiffrant les annotations du professeur. J’ai vraiment l’impression de me retrouver comme une écolière avec le désir ambitieux de comprendre ce qui ne va pas.
La lettre ne dit pas rien ne va. Au contraire, elle parle de « qualités littéraires » et d’un « vrai souffle narratif », ou encore d’un « style cohérent et maîtrisé » - et même efficace. C’est plutôt encourageant, vu comme ça. En gros, l’éditrice dit que je sais raconter une histoire. Mais bien sûr, elle me fait des critiques – sans dire que c’est un reproche car elle transforme la critique en l’idée d’un manque d’adéquation à la collection existante dans sa maison d’édition. Elle considère que j’offre dans mon manuscrit une matière littéraire pas assez « nuancée et sensible » : elle me dit que mon écriture n’est pas assez littéraire, qu’elle est trop contrôlée et que je n’ai pas encore su « trouver et laisser entendre [ma] voix ».
En un sens, je suis d’accord avec cette remarque. En un autre sens, je suis vraiment étonnée.
J’ai toujours pensé que je ne savais pas raconter les histoires. Je ne suis pas une vraie littéraire. À la fiction et aux romans, j’ai préféré les concepts et les idées et dans mes études j’ai troqué mon amour d’enfance vis-à-vis des lettres pour la philosophie. Jusqu’à maintenant, je n’avais jamais réussi à aller jusqu'au bout d’un récit, car lorsque j’écrivais une histoire, j’avais toujours l’impression de mentir. Pas « mentir-vrai », comme le dit Aragon, mais mentir tout court. À mes yeux, écrire une histoire, c’était raconter des salades et j’avais du mal à croire moi-même à ma narration.
Mais cet été, pour sortir de cette impasse qui avait bridé jusque là toute tentative de création, j’ai décidé d’écrire autrement. Écrire non plus pour des adultes, mais écrire pour des adolescents. Cette idée ne m’est pas venue d’un coup, mais est issue d’une longue démarche. Il y a tout d’abord eu des rencontres avec des écrivains et des éditeurs pour la jeunesse – notamment au salon du livre de Montreuil. J’aimais la simplicité de beaucoup d’entre eux qui revendiquaient le statut d’écrivains à part entière dans leur travail de création sans pour autant donner à la Littérature cette majuscule intimidante et prétentieuse qui enferme l’écriture dans un carcan trop étriqué. Et puis en parallèle, il y a eu mes lectures. Je me suis mise à hanter l’espace Jeunesse de la bibliothèque de mon quartier. J’était un petit peu mal à l’aise sous le regard du bibliothécaire me regardant comme une intruse dans ses rayons. Très vite, j’i commencé à lire boulimiquement. Deux ou trois romans par semaine. Au début, je piochais des livres au hasard, me laissant guider par les couvertures et les 4e de couverture. Puis j’ai repéré les auteurs vers qui allaient mes préférences. Marie-Aude Murail, Marie Depléchin, Susie Morgenstein, Christian Grenier… Certains écrivains m’avaient accompagné dans mon adolescence. C’est avec un réel plaisir que je les ai retrouvés aujourd’hui. Car en lisant ces ouvrages pour les jeunes, je retrouvais mon goût d’autrefois pour la lecture. Je suis redevenue la lectrice que j’étais : les heures passées le nez dans les livres en oubliant tout le reste, cette quasi impossibilité de se détacher d’un bouquin avant d’être arrivé à la dernière ligne et en même temps cette déception lorsqu’on arrive à la dernière page et qu’on s’aperçoit que c’est déjà terminé. J’ai lu à nouveau comme avant mes études : pour l’histoire, pour l’amitié avec les personnages, pour la découverte d’un nouvel univers. Sans chercher à analyser, à décortiquer, à faire une critique littéraire. J’ai lu simplement pour le plaisir. C’est normal ? Oui, certainement, mais pourtant cela faisait longtemps que je n’avais pas lu des romans avec autant d’innocence et de naïveté.
J’ai voulu écrire un roman qui fasse sur un lecteur adolescent le même effet que ces livres savaient faire sur la lectrice devenue adulte que je suis. Écrire pour faire plaisir et faire découvrir. J’ai pointé ce que j’aimais dans les romans que je lisais. Puis j’ai essayé d’oublier les autres et de me concentrer sur mon histoire – sur ce que je voulais raconter. Je ne voulais pas parler de moi – ne surtout pas faire un roman autobiographique. Mais bien sûr, je n’ai pas réussi à faire autrement et au fil de l’écriture je me suis tout de même retrouvée dans mon héroïne principale. Je me suis amusée à lui faire vivre ce que j’aurais aimé vivre. J’ai essayé de raconter d’une façon grave et drôle à la fois. Et j’ai composé une fin en forme d’espoir – parce que je pensais à mon lecteur de 12 ans qui n’aimerait pas terminer la dernière page sur un drame.
Alors, dans tout cela ai-je manqué de sensibilité et d’émotion ? Ai-je trop contrôlé mon écriture pour la faire entrer dans le cadre d’un « roman jeunesse » ? Peut-être… Je ne voulais pas me brider et changer les mots qui me venaient spontanément à l’esprit. Si un terme était un peu compliqué pour un gamin, je me disais qu’il le comprendrait dans son contexte. Et en même temps, j’écrivais en ayant le désir de ne pas ennuyer et de toujours tenir en haleine. À la relecture, j’ai supprimé des passages que parce que je les jugeais trop théoriques ou s’attardant trop sur des sentiments ou des descriptions. J’ai aussi écrit en veillant à ne pas avoir un style trop « évalien », comme j’en ai parfois ici dans ce journal : ne pas faire des phrases de trois kilomètres avec des images poético-grandiloquentes ou encore ne pas abuser des métaphores compliquées. Alors, dans ce désir de simplicité, ai-je perdu quelque chose de la pureté de ma voix personnelle ? Ai-je écrit un roman stéréotypé, malgré mon désir de puiser en moi les émotions ? Ai-je perdu du littéraire au détriment du narratif ?
Je ne sais pas. Je ne sais toujours. Peut-être vaut-il mieux que je mette mon manuscrit dans un tiroir en attendant d’y voir plus clair ? Cela me laisserait la liberté d’esprit de penser à ma prochaine histoire.