Sa voix au téléphone. Si loin. Une voix rauque qui avale les syllabes et mastique les mots. Je ne le reconnais pas. Je sens monter les larmes au bord de mes paupières, mais je ne pleure pas. Pas tant qu'il est là, au bout du fil. Il dit que cette nuit il n'a pas beaucoup dormi, que l'infirmière de service n'avait pas voulu lui donner plus d'un demi comprimé et que ça ne l'a assoupi que jusqu'à 3 heures du matin. Il dit qu'il a trouvé le temps long avant qu'on ne l'emmène au bloc opératoire à 8 heures. Il dit qu'il n'en est sorti qu'à midi. Il dit qu'il a mal un peu, mais qu'il paraît que c'est normal. Il dit que le chirurgien a expliqué que tout s'était bien passé et qu'apparemment les ganglions ne seraient pas atteints.
Cette voix cassée et faible, de l'autre côté de l'écouteur, comment l'oublier. Cette voix ne lui ressemble pas, et pourtant c'est lui. C'est lui, aujourd'hui.
Je n'ose pas parler trop longtemps. J'ai peur qu'il se fatigue davantage. Je ne sais pas si je dois raccrocher, car je sens en même temps qu'il a besoin de parler. Je ne reconnais pas sa voix, mais je reconnais sa façon de parler, le choix de ses mots, les formules de ses phrases - sa façon de désigner l'infirmière lorsqu'il la désigne sous le vocable "une petite jeune fille toute mignonne".
Il dit qu'il a des fils accrochés partout. Il dit que ce n'est pas beau à voir. Je ne veux pas l'imaginer ainsi. Je ferme les yeux et je chasse l'image qui s'impose.
Je lui dis que je téléphonerai demain pour savoir si on peut passer le voir. Il dit que oui, demain, il devrait être plus en forme. Je lui dis au-revoir et bonne soirée. J'ai une voix anormalement douce.
Je raccroche. Et puis je pleure.
Regards extérieurs, c'est ici !
Il y a un an.
Il y a deux ans. Il y a trois ans. Il y a quatre ans. Il y a cinq ans. Il y a six ans. Il y a sept ans. Il y a huit ans. Il y a neuf ans. |