Lundi 25 août 2008

 

Avec le vent du Nord, écoutez-le craquer

Je roule, roule, sur mon vélo. Le vent souffle très fort. Bande son unique, à peine troublée dans les villages par les carillons musicaux des églises. Le vent arrive de la mer, à ma gauche, et, l'espace d'un instant, je suis projetée sur le côté. Un coup de volant et voilà, je retrouve ma trajectoire. Mais, au détour d'une dune broussailleuse, je passe un tournant. La route m'emmène dans une autre direction. Le vent m'arrive de face. Je change de vitesse et mon vélo, mal réglé, se met à grincer. Ça tire dans les genoux. Je baisse la tête pour ne pas que le vent fasse à mes yeux monter de petites larmes. Le vent m'a lancé un défi. Il se croit plus fort, mais c'est moi qui gagnerai la bataille. Inévitablement, mon allure ralentit, mais je pédale plus fort. Quelques kilomètres plus loin, la route tourne de nouveau. Je suis sur une digue, entre la mer et la mer. Le vent, maintenant, est avec moi. Il crie toujours autant, la même chanson lancinante, mais il pousse fort dans mon dos. Je perds les pédales. Je ne fais plus aucun effort, et pourtant j'avance très vite. Pendant des kilomètres, la route est impeccablement droite. Je pourrais fermer les yeux, me laisser guider par ce nouvel ami que, l'instant d'avant, je prenais pour un ennemi. Sur le bitume, les reflets des nuages avancent à vive allure. Je me mets à pédaler très fort, pour les rattraper. Mais les nuages vont plus vite que moi et entraînent avec eux les mouettes qui se laissent bercer, avançant sans même remuer les ailes.

Je roule, roule, sur mon vélo. J'ai la chanson de Jacques Brel qui tourne en boucle dans ma tête. Mais j'ai oublié la moitié des paroles. Alors je répète inlassablement les trois premiers vers, sans parvenir à tirer de mes souvenirs emmêlés la suite de la chanson.

Avec la mer du Nord pour dernier terrain vague
Et des vagues de dunes pour arrêter les vagues
Et de vagues rochers que les marées dépassent

O., à côté de moi, sur son vélo lui aussi, rigole : Ils sont où, les rochers ? Ils sont vraiment très vagues ! Je tourne la tête vers la mer. Une mer légèrement grisée, de laquelle semble s'échapper une douce lumière. En effet, pas de rochers sur cette plage. Juste du sable doré et, au-dessus, un ciel immense et chargé de gris et de bleu. Il suffirait presque de lever le bras pour toucher les nuages. Mais ces derniers n'ont pas fini leur course. Ils courent toujours à travers l'infinité et déjà, ils m'ont largement dépassée, recouvrant le soleil. Une première goutte de pluie tombe juste sur le bout de mon nez. Je dis Ah, il va pleuvoir ! Mais je n'ai pas le temps de finir ma phrase que la pluie s'est mise à s'acharner contre nos vélos. Nous nous arrêtons en urgence, plongeons dans nos K-Way, tirons sur les cordons des capuches. Je suis bleue marine, O. est bleu clair. Les coups de pédale reprennent. Je crie à O., depuis son vélo jusqu'au sien : On a retrouvé le Grand Schtroumpf ! Il pédale en vainqueur contre le vent du Nord ! O. râle devant mon insolence. Il pédale plus fort, me rattrape et s'écrie : Mmm, la voilà la Schtroumpfette, je vais la schtroumpfer toute crue ! Mais déjà, le nuage gris est parti et, à travers les gouttes de pluie ensoleillée, se dessine un bel arc-en-ciel. Sur le bord de la route, des enfants tout blonds nous regardent, les yeux écarquillés et la tête nue : Qui sont donc ces étranges gens qui s'emmitouflent à la moindre gouttelette ? Là-bas, aux Pays-Bas, les Hollandais ne se formalisent pas d'une goutte de pluie et ne semblent pas même sentir l'averse fondre au-dessus de leur tête. Le vent souffle encore. Toujours. Les imperméables sont déjà secs. Il fait trop chaud sous nos habits devenus superflus. De nouveau, nous nous arrêtons pour enlever nos K-Ways... Jusqu'à la prochaine averse.

Je roule, roule, sur mon vélo. Nous passons devant des pâturages d'un vert sans faille. Des moutons paresseux me regardent, l'oeil vide, la bouche mastiqueuse. Quelques maisons se dessinent à l'horizon. Voici un village. Je ralentis. Des maisons au toit pointu, aux façades de briques ou bien de bois coloré, en fines planches. Je roule plus doucement. Je regarde allègrement par les fenêtres de chaque maison croisée. J'ai oublié les principes essentiels de la politesse. Mais aux grandes fenêtres, il n'y a pas de rideau. A la place, de jolies décorations : là un énorme vase avec une plante qui vient gratter le plafond, ici une collection d'orchidées, là-bas un matou tout roux enroulé sur une couverture ou bien beau navire en bois, faisant face fièrement à la mer. Mes yeux lorgnent sur la vie des gens. J'aimerais entrer dans leur intimité, m'asseoir sur ce confortable canapé blanc que j'aperçois, dérober une pomme verte que je devine sur la grande table du salon. Je dis à O. Pourquoi on ne vit pas ici, dans ce petit village de Zeeland ? O. ne m'a pas entendu : le vent continuer d'hurler dans ses oreilles. Mais je continue mon rêve : On aurait une grande maison bleue au milieu des champs. Et en silence, je murmure : J'écrirais des romans en regardant le vent souffler et on irait tous les deux se promener dans les dunes en pédalant sur de grands vélos noirs auxquels on aurait accroché une carriole pour y abriter des enfants blonds...

Je roule, roule, sur mon vélo. Mon pantalon est trempé, mes cheveux emmêlés par le vent, mes cuisses me font mal. Mais pour rien au monde j'échangerais cette liberté. Seule avec lui qui se laisse entraîné par moi sur ces routes impossibles au bout des terres du Nord balayées par le soleil, la pluie et le vent.

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