Mardi 23 septembre 2008

 

Naissances

En franchissant la porte d'entrée, je ne peux pas m'empêcher de repenser à la dernière fois que je suis allée dans un hôpital. C'était il y a quelques mois maintenant, mais comment pourrais-je l'oublier ? Seulement, cette fois-ci, à l'accueil, lorsqu'on nous a demandé à quel service nous nous rendions, j'ai dit "Maternité" et cela faisait plaisir à dire parce que ce n'était pas un de ces mots comme "cancérologie" qui font si peur.

Nous sommes montés au quatrième étage, avons tourné dans les couloirs et ouvert la porte de la chambre. Ma. était là, allongée sur le dos, les bras resserrés autour d'une minuscule boule de tissu. Ma. nous a souri. Elle s'est penchée sur l'enfant dans ses bras et a murmuré Regarde, c'est ton tonton et ta tata ! Nous avons souri, nous aussi, sans oser trop nous rapprocher. En me penchant légèrement, j'ai aperçu le bébé, le visage rouge sous une déjà importante masse de cheveux bruns. Un petit nez aplati, des yeux toujours fermés n'osant regarder la lumière du jour et de jolis doigts minces bougeant dans la main de sa maman. Je crois que O. et moi étions un peu intimidés, comme à une première rencontre : quoi dire ? quoi faire ?

Quelqu'un, moins effarouché que nous, s'est exclamé : A qui elle ressemble cette petite puce ? Ah, elle a les cheveux de son papa, c'est sûr, et peut-être bien le nez de sa maman, regardez ! Quelqu'un d'autre a surenchéri, et tout le monde a cherché dans le nouveau né les signes des ressemblances physiques. Je me suis reculée un peu plus loin vers le fond de la pièce, presque comme si j'étais de trop. Je sais qu'il n'y aura jamais de ressemblance entre cette petite fille et moi. Les traits de son visage rappelleront peut-être ceux d'O., mais jamais les miens. Je me suis sentie soudain comme la pièce rapportée, presque une étrangère. Reléguée dans le rôle de tante par alliance. Tata Eva, Tatie Eva... La vieille tante qui oblige les enfants à glisser sur des patins de feutre avant d'entrer sur le parquet ciré de son salon, la tante ennuyeuse qu'on ne voit que quelques fois par an, au moment des fêtes, et qui pose des questions curieuses... est-ce que ce sera moi, un jour ? A côté du lit, on continuait de dérouler la généalogie : Ne trouvez-vous pas qu'elle a un petit air de sa grand-mère, si, là, dans les yeux ? Je me suis assise sur la chaise libre et j'ai gardé le silence.

Puis la mère et le père ont raconté l'accouchement. L'anesthésiste qui rate la piqûre de la péridurale, l'oxygène qui manque et le bébé qui arrive avant que tout le monde ne soit prêt, la déchirure, le service de cardiologie... J'écoute toujours, je ne dis rien. Pourtant, il y a comme une peur panique au fond de moi. Je me dis Est-ce donc ça devenir parents ? Cette peur, cette angoisse ? Comment vivre avec ça ? Mais je regarde Ma. Elle n'a pas peur. Elle câline l'enfant, le serre contre son coeur. Elle n'est mère que depuis 24 heures, mais il semble qu'elle l'a été toute sa vie. Il y a une évidence dans son regard, une assurance dans ses gestes, une quiétude dans ses paroles. Je repense alors à la façon dont j'assistais aux mariages, avant que je ne me marie moi-même : la veille, lorsque je parlais avec la future mariée, j'avais la peur au ventre et au moment du "oui" un trop plein de larmes dans la poitrine... et pourtant, lorsque cela a été mon tour, je n'ai pas eu peur une seule fois et verser des larmes m'aurait paru une idée saugrenue. Peut-être est-ce la même chose pour une naissance : regarder de l'extérieur les autres devenir parent n'a rien à voir avec le fait le devenir soi-même. Peut-être.

Mais déjà je me suis calmée. Je me suis levée et je me suis rapprochée du lit. La petite s'est réveillée. Son papa la prend dans ses bras. Mais il ne sait pas comment la caler sur son épaule. Ses gestes sont hésitants, comme s'il avait peur de briser l'enfant. Le bébé, mal en place, se met à pleurer. Le père redonne sa fille à sa mère. Devient-on vraiment parent du jour au lendemain ?

La petite est mignonne. Tout ce qu'elle fera désormais dans les prochains jours, les prochains mois, elle le fera pour la première fois. Je prends en photo la nouvelle famille. Je ne voudrais pas oublier ce joli tableau. Je m'assois sur le lit, discute en souriant.

Plus tard, le soir, dans mon lit, je me tourne longtemps avant de trouver le sommeil. Je n'arrive pas à déterminer ce que je ressens. Je ne sais pas trouver les mots sur mes émotions. Je me répète C'est merveilleux, cette naissance, c'est un miracle. Mais je me retourne toujours dans mon lit. Il y a autre chose derrière ces émotions attendues. Quelque chose comme de la jalousie, un vague sentiment d'envie. Je me retourne encore une fois. Je ne veux pas de ce sentiment si laid et si égoïste, je veux le lâcher, ne plus le retrouver au fond de moi. Mais je n'y arrive pas. C'est comme si je portais un pull en laine qui me grattait la peau : j'ai de petites pointes de jalousie qui me grattent et je m'en veux pour ça.

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