Je suis de retour. Et je suis désolée. Désolée de vous avoir abandonnés. Désolée de ne pas avoir pensé à vous. Désolée d'avoir tout fait pour vous oublier. Et puis aussi je suis désolée d'être désolée, car ce n'est pas mon habitude de m'excuser ainsi. J'ai toujours pensé que je ne devais rien à mes lecteurs du net, que notre relation n'était pas contractuelle, mais seulement factuelle. J'écris, vous me lisez. Je n'écris plus, vous ne me lisez plus. Et peut-être vous m'oubliez. Vous en avez le droit. Je vous ai bien oubliés, moi. Ce n'est qu'un juste retour des choses, une vengeance masquée - la vengeance par l'oubli.
Est-ce que je vous dois des explications ? Je ne crois pas. Je suis libre d'écrire ici, comme vous êtes libres de me lire (ou pas). Pourtant, ce soir, ce n'est pas ma liberté qui me gratte les doigts, mais c'est ma culpabilité. Je m'en veux un petit peu de vous avoir oubliés et je n'arrive à rien d'autre qu'à vous répéter, platement et humblement, "je suis désolée".
Pendant tous ces mois, j'ai travaillé. Travaillé beaucoup. Beaucoup trop. L'année a commencé tôt, vite et m'a très rapidement emportée dans un cycle de travail dans lequel je me suis laissée emprisonner. A la radio, dans les journaux, ils répétaient tous "c'est la crise, c'est le chômage, la France est en faillite". Et moi, chaque jour, je travaillais toujours plus, sans jamais voir le bout des tâches que j'avais à accomplir. "Travailler plus", qu'ils disaient à la radio. Et moi ça m'amusait, ça me faisait rire jaune, car je n'ai quasiment jamais travaillé autant. Sauf peut-être qu'en j'étais en classe prépa, mais ça, ça comptait pas : ce n'était pas du travail, c'était des études ; ce n'était pas des sous à gagner, c'était une culture à faire pousser. Novembre, décembre, janvier, février. Les mois ont défilé. Les journalistes à la radio ont continué de répéter "la France entre en dépression", et moi j'ai continué, chaque matin, de me préparer pour remettre mon rocher en haut de la montagne et le regarder, chaque soir, glisser à nouveau tout en bas. Chaque soir, j'ai croisé le visage renfrogné de la dame du ménage et traversé le couloir, passant devant les bureaux vides des collègues déjà rentrés chez eux.
Mais depuis quelques jours, le printemps est revenu et, sur mon grand bureau encombré, je signe des BAT. Bientôt, je pourrai mettre à la poubelle une tonne d'épreuves gribouillées et revenir à la maison alors qu'il fera encore jour. A la radio, ils continueront probablement de dire "C'est la crise". Mais ce n'est pas grave. Le monde peut bien tourner ou faire du surplace. Comme à chaque printemps, je suis heureuse de pouvoir enfin me remettre à souffler et avoir le droit enfin de respirer... en attendant la prochaine saison qui, de toute façon, viendra forcément trop vite.
Est-ce que je m'excuse ou bien je me disculpe ? Je suis désolée, car le travail a bon dos lorsqu'il prétend se présenter comme la seule raison de mon silence. Je n'ai pas écrit ici parce que j'ai passé tout mon temps à travailler et que, le soir, je n'avais pas la tête à me confier. Mais la vérité, c'est qu'il y a autre chose. Car mon temps s'est réduit comme un peau de chagrin, et pourtant j'ai continué à écrire. Mais pas ici. Ailleurs. J'ai continué à écrire. Mais pas sur moi. J'ai laissé closes les pages de mon journal intime pour mieux me quitter moi-même. Pour ne pas penser tout le temps à moi, ne pas tourner autour de mes idées trop rondes, et arrêter de m'enrouler autour de mon nombril. J'ai écrit ailleurs. Surtout pas de l'intime, surtout pas du personnel. Ne pas me retrouver, ne pas m'observer, ne me regarder que de loin - de très loin. J'ai écrit des choses légères, qui m'ont permis de m'envoler dans des espaces superficiels. J'ai écrit des choses fictives, inventé des mondes qui n'existent pas vraiment. Je ne me suis pas prise au sérieux. J'ai cessé de vouloir à tout prix une pseudo vérité, une vaine sincérité. Je me suis lancée dans des projets d'écriture, inventé des histoires, lancé des collaborations. Sur la pointe de mon stylo, sans trop croire en moi-même, je me suis mise pourtant à écrire - à écrire vraiment.
En un mot, j'ai décentré mon écriture. Je l'ai éloignée de mon centre - je veux dire, je l'ai éloignée de moi comme centre. Et ça m'a fait du bien ! Imaginez : écrire sans penser à moi, vivre sans m'analyser... me tourner vers le monde, donner une autre fonction aux mots que celles de l'expression de soi. Ouf ! Cela m'a reposée. D'aucun diront que j'ai joué à l'autruche. Mais parfois, cela fait tellement du bien que de s'enterrer la tête dans le sable et, dans cette position abracadabrante, ne plus pouvoir apercevoir son nombril !
Alors je suis désolée. Mais pas trop quand même. Je me dis qu'à vous aussi peut-être cela vous a fait du bien d'arrêter de regarder mon nombril, non ?
Regards extérieurs, c'est ici !
Il y a un an.
Il y a deux ans. Il y a trois ans. Il y a quatre ans. Il y a cinq ans. Il y a six ans. Il y a sept ans. Il y a huit ans. Il y a neuf ans. |