Liban2012
Je suis sur la terrasse, sur le devant de la maison. Il fait lourd, aujourd'hui, mais il y a un vent tiède qui permet de mieux respirer. Le petit ordinateur rose calé contre mon ventre, je laisse les mots courir au bout de mes doigts. J'avais ce même ordinateur il y a deux ans. J'ai retrouvé le fichier où j'avais tenu mon journal de voyage. Le fichier s'intitule « Liban2010 ». Cette année, c'est « Liban2012 ». Je relis mes mots d'il y a deux ans. Je retrouve une jeune femme au ventre rond qui se balance en rêvant sur la balancelle. J'aime celle que j'étais alors. J'étais sereine et apaisée. N'ai-je jamais été aussi sereine qu'à cette époque-là ?
Cette année, j'ai abandonné la balancelle à l'étage. Ma nièce dort dans la pièce à côté et je ne veux pas la réveiller. Le fauteuil en rotin de la terrasse d'entrée est un peu moins confortable. Tout à l'heure, la Sardine a fait pipi dessus – la propreté est un long apprentissage. Ai-je perdu ma sérénité en donnant naissance à la Sardine ? J'écris en tendant l'oreille. J'écris en regardant ma montre. J'écris juste le temps de la sieste. J'écris en me disant qu'il faut que les mots arrivent vite, car je n'ai pas beaucoup de temps. Alors, forcément, les mots ne viennent pas. Il faut gratter pour faire apparaître les mots dissimulés sous les pensées parasites (a-t-elle trop chaud ? a-t-elle trop froid ? la climatisation est-elle bien réglée ? va-t-elle assez dormir ? cette méchante toux va-t-elle enfin s'arrêter ? sera-t-elle sage à la soirée de ce soir chez la cousine d'O. ?)
Je lève la tête vers l'olivier argenté à l'entrée de la maison. Les branches dansent sous le vent. Tout paraît si paisible. Là, sur la terrasse, je regarde les mots qui ne viennent pas sous le clavier. Je me dis que le plus difficile, quand on devient parent, c'est de réussir à ne pas être seulement parent. Trouver la disponibilité pour encore regarder autour de soi, écouter ce qui ne s'entend pas derrière les cris d'enfants, être à l'affût de ce qui est tapi au fond de soi, et puis aussi aimer avec la même force celui qui est devenu père.
Le vent souffle et vient tirer les traits de mon visage. Le soleil me fait plisser les yeux. Tant pis si les mots ne viennent pas. Être là, ici, maintenant, c'est déjà tant.
Regards extérieurs, c'est ici !
Il y a un an.
Il y a deux ans. Il y a trois ans. Il y a quatre ans. Il y a cinq ans. Il y a six ans. Il y a sept ans. Il y a huit ans. Il y a neuf ans. Il y a dix ans. Il y a onze ans. Il y a douze ans.
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