Dimanche 25 mai 2003

Elle n'est plus devant ma porte
J'essaie de me souvenir quand c'était la dernière fois. La dernière fois que je me suis retrouvée seule ici pendant tout un week-end. Je ne trouve pas. C'était il y a longtemps - dans la vie que j'avais avant. Avant que je le connaisse. L'autre fois, en regardant Irène, un film récent qui conte la vie d'une célibataire de trente ans, je me suis rappelée cette vie : les journées à traîner en pyjama dans la maison, les cheveux pas coiffés et la nonchalance dans chacun des gestes, les dimanches paresseux qui s'étirent sans fin ou encore les oeufs sur le plat mangés dans la petite poêle. Cette dernière scène surtout m'a donné des frissons. On la voit dans le film exactement comme je la vivais si souvent et comme je l'avais immortalisée dans mon journal. Cela fait toujours bizarre de se voir projetée sur un écran.

La solitude, je connaissais. Elle vivait avec moi. Elle m'accompagnait dans chacune des pièces de la maison, dans chacun de mes gestes, dans chacune de mes pensées peut-être aussi. Elle était là, partout. Je ne vivais pas tout à fait seule : je vivais avec elle. Elle était ma compagne et chaque soir je la retrouvais devant ma porte. Elle m'encerclait et je ne pouvais pas me dégager d'elle. Elle était une partie de moi-même - mon double dans les reflets du monde - et il me semblait que je n'aurais pu me détacher d'elle sans mourir un petit peu. Mourir d'une belle mort, mais mourir quand même. Je pensais que l'abandonner pour vivre avec un autre que moi, c'était me trahir moi-même. La solitude était mon état civil. J'étais convaincue que n'être plus seule, ce n'était plus être moi-même. L'inscription "Célibataire" en dessous de mon nom me définissait tout aussi bien que mon patronyme. La solitude pas simplement comme un état, mais comme un bout de soi. Un état ne peut être que passager. Un état ne dure pas, même s'il se prolonge toute une vie. Tandis que même si on perd un bout de soi - un bras, une jambe, que sais-je - il vous appartiendra toujours. La solitude était ma soeur jumelle. Elle me ressemblait tant qu'on ne pouvait pas la distinguer de moi. Et en même temps, je l'aimais tant que je ne pouvais pas me détacher d'elle. Je l'aimais comme une soeur ennemie : avec toute la haine pour ceux qui vous ressemblent trop et dont vous ne savez pas vous séparer, même si vous le voulez à chaque instant.

Je répétais que je ne souffrais pas d'être seule. Je le répétais et je m'en convainquais à force de le répéter. Mais ce n'était que de la complaisance, je le sais maintenant. Répéter coûte que coûte que j'aimais ma solitude, c'était une façon de préserver mon orgueil. Dire que je l'avais choisie, prétendre que je m'y reconnaissais, arguer que je la recherchais, pour ne surtout pas avoir à penser l'espace d'un instant que je vivais dans l'abandon et le rejet, qu'il manquait une part à mon être et que je ne parvenais pas à la retrouver. Ma solitude me définissait. Or, j'avais du mal à me trouver moi-même. Il me manquait quelque chose, et je ne savais pas quoi. Mais j'éludais la question. J'étais fière. Jamais je n'aurais avoué qu'il fallait être deux pour être soi-même.

Je sais la vérité aujourd'hui : il faut être seul pour être soi-même. Mais être seul, ce n'est pas rejeter tous les autres, ni non plus construire une carapace autour de soi. Etre seul, ce n'est pas renoncer à aimer par peur de souffrir, par effroi d'échapper au propre contrôle de son corps. Etre seul, c'est se regarder au fond des yeux et dire : "je ne veux pas que tu sois différente". Peut-être au fond que savoir être seul, c'est savoir s'aimer. S'aimer soi-même, comme la tâche est ardue... Ai-je seulement réussi aujourd'hui ce défi là en regardant mon reflet non plus dans les miroirs sans teint de l'existence, mais dans les yeux de mon amoureux ?

De plus en plus souvent maintenant, j'ai envie de donner un autre titre à ce journal... Car où sont passés mes regards solitaires désormais ?

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