Regards extérieurs

Pour avoir quelques explications,
allez jeter un coup d'oeil ici et puis aussi ici...



Lundi 22 mai 2006

- Dans le métro, 9h05

























Les deux chasseurs de fantômes et la fée

En quelques secondes à peine, une horde de gamins criant a envahi le wagon qui, jusqu'à maintenant, était calme et concentré. Les mômes ont quatre ou cinq ans tout au plus. Ils ne sont pas nombreux - à peine une dizaine. C'est fou la rapidité et l'intensité avec lesquelles un si petit groupe a réussi à coloniser l'espace sonore. Je me suis levée et j'ai fermée mon livre pour accueillir la foule de petits sauvages. Ca sent l'enfance dans le wagon : un doux parfum de BN au chocolat a recouvert l'odeur âcre du métro.
Un petit garçon me marche allègrement sur le pied, sans même s'en apercevoir. Il est concentré sur le paysage qui défile devant lui : un tunnel noir et profond, sans vie, sans lumière. Je ne tarde pas à apprendre que le petit voyageur s'appelle Jules. Lui et son copain Daniel ont le visage presque collé à la vitre. Leur tête arrive juste au niveau de la partie transparente de la porte, ça tombe bien. Ils sont tous les deux si scotchés à cette vitre qu'ils y laissent de grosses tâches de doigts, et même, semble-t-il, un peu de bave. C'est que Jules et Daniel sont tout concentrés sur leur exploration. Ils ont les yeux grands ouverts sur le mystérieux monde qui s'ouvre devant eux. "Il y a des fantômes", murmure Jules, qui en sait bien plus long sur la vie et ses énigmes que son pote Daniel. Daniel écarquille encore plus les yeux sur l'obscurité du souterrain. Les yeux de l'imagination font des miracles et je ne doute pas que dans un instant le petit Daniel verra effectivement un vrai fantôme avec sa panoplie complète. Les deux petits chasseurs de fantômes sont chargés d'une mission et ils en ont oublié que dans le métro il fallait se tenir pour ne pas tomber. Du coup, ils tombent violemment sur moi à chaque coup de frein. L'adulte (un brin stressé) qui les accompagne ne cesse de les rappeler à l'ordre : "Jules, tiens-toi à la porte voyons !" Mais Jules n'entend pas et continue à prendre mes pieds pour un paillasson. A ma droite, un monsieur râleur profite de l'arrêt du métro pour changer de wagon et laisse sa place vaquante. "Viens t'asseoir sur le strapontin, Jules !" Jules n'entend toujours pas : il est trop concentré sur ses fantômes.
Mais une petite fille aux boucles brunes prénommée Viviane a entendu la voix de l'adulte : "Je peux m'asseoir, moi ?", demande la petite fée toute timide. D'un signe de son accompagnateur, elle grimpe sur le strapontin. Ses pieds ne touchent pas le sol, mais elle est fière d'être assise comme une grande. Elle lève la tête vers son maître d'école et le regarde avec gravité, l'air de dire Tu vois, moi je suis sage, au moins !



Vendredi 19 mai 2006

- Dans la librairie "L'oeil écoute" (à Montparnasse), 20h15






















Le tueur de la librairie

Je regarde les livres de poche au sous-sol de cette célèbre librairie parisienne ouverte jusqu'à tard le soir. Soudain, je lève la tête. Un jeune homme, étrangement vêtu, portant un pantalon et une chemises rouges bien trop grandes, parle fort au libraire. "Je voudrais un livre qui parle d'un tueur !", scande l'individu. "Un tueur, tu vois ce que je veux dire ? Un truc avec du sang, des meurtres, tout ça quoi ! Tu vois ?" L'homme s'est octroyé le droit de tutoyer le libraire qu'il ne connaît pourtant pas. Mais ils ont certainement à peu près le même âge et de telles familiarités peuvent se justifier au sein d'une même génération. Mais l'homme continue de parler fort et répète toujours cette même phrase : "Je voudrais un tueur !" Le libraire a l'air de prendre ça plutôt à la rigolade, malgré son incompétence évidente à répondre à l'attente de son client : "Je ne m'y connais pas trop en romans policiers, vous savez... Vous voulez une histoire vraie ?" L'homme n'en démord pas : "Roman ou histoire vécue, je m'en fiche ! Ce que je veux, c'est un tueur !" L'homme ne semble pas s'énerver, mais il parle toujours aussi fort et ne cesse de répéter le même mot, comme une obsession. Toujours dans son délire verbale, il ajoute : "on dit qu'il y a un tueur qui se balade en France... Tu en as entendu parler, non ?"
Le libraire se marre. Mais moi je commence à me dire que tout cela est bien bizarre. Je sens une vague peur monter en moi. O., un peu plus loin dans les rayons, ne semble avoir rien vu, rien entendu. Pourtant, moi, depuis cinq minutes je n'entends que cette phrase : "je voudrais un tueur !" et, déjà, je m'imagine mille scénari : le type va dégainer une arme de sa veste et se mettre à tirer sur tout le monde en riant "je t'ai bien eu ! c'est moi le tueur !" Je vois déjà les gros titres dans Le Parisien demain matin : Hécatombes dans une librairie du 6e arrondissement. Je tire O. par la manche : "Allez, on passe à la caisse ?" O. ne vient pas, continue de traîner devant la 4e de couverture d'un bouquin. Mais impossible de lui dire là, à quelques mètres du futur criminel, "Y'a un malade mental qui va assassiner tout le monde et je veux pas être là quand il sortira son arme !" Ma peur est irraisonnée et je sais bien que je suis seule à la partager.
Enfin, nous voilà dans le petit escalier tournant qui mène à la caisse. On paye rapidement. On sort de la librairie. Ouf, je suis saine et sauve !



Mercredi 17 mai 2006

- Dans la rue, vers 12h50












Michel et Cassandre

Je marche sur le boulevard avec trois de mes collègues. On va à la cantine, comme tous les midis. Deux de mes collègues parlent ensemble d'un projet sur lequel je ne travaille pas. La troisième collègue est derrière nous, l'oreille scotchée à son portable. Tout d'un coup, je le vois : avec une chemise bleue foncée comme un bleu de travail, un petit air ironique sur les lèvres et son éternel visage ingrat. C'est lui : c'est Michel Houellebecq, pas de doute ! Il discute avec un inconnu qu'il connaît. Mais il n'y a pas de doute, c'est bien lui ! A peine quelques secondes et déjà je l'ai dépassé. Je me tourne vers mes collègues : "Vous avez vu qui c'était ? C'était Houellebecq !" Les deux collègues me regardent avec de grands yeux ronds (la troisième est toujours au téléphone) : "Ah bon ? Ben non, moi j'ai rien vu !" Je me sens toute minable. J'ai vu l'ex futur-prix-Goncourt et personne d'autre que moi ne l'a reconnu. Je suis en plein film de science-fiction : Cassandre, c'est moi. Personne ne me croit !

Le soir, au dîner, je raconte à O. ma fameuse rencontre. Il hausse les épaules : "c'est qui Houellebecq ? Ah !!!!!!!


Acte I
Acte II
Acte III
Acte IV
Acte V
retour au sommaire