Mercredi 23 octobre 2013

Mère de deux enfants

La Crevette pédale à côté de moi dans son transat. Elle remue les pieds, les bras, sort la langue, tourne la tête vers la fenêtre. Et toujours cet air grave, presque impassible. Et ce regard bleu foncé, si profond qu'il semble illuminer tout son petit visage. Je ne sais pas très bien si ses yeux me regardent ou s'ils regardent au-delà. Certainement ne voient-ils qu'une forme de couleur, presque indistincte, une présence qui n'a pas encore vraiment de sens. Moi, au contraire, je la regarde longuement. Parfois, j'ai même l'impression que je ne fais que ça de mes journées : regarder mon bébé. Et puis, bien sûr, lui donner à manger, changer sa couche, la coucher dans son lit, et puis recommencer. Entre deux gestes, la regarder. Longuement. Intensément. Comme pour percer son mystère, deviner ce qui se cache dans son regard bleu, comprendre qui elle est, imaginer ce qu'elle sera.

Un peu plus d'un mois de vie maintenant. Une certaine stabilité s'est installée. Je me pose moins la question du sein ou du biberon je donne à manger à mon bébé qui a faim, voilà tout. Le matin reste une petite épreuve : arriver à tout gérer, préparer le petit déjeuner de la grande, l'habiller, nourrir la petite, nettoyer ses fesses, donner le bain, ne pas s'énerver après la grande qui ne veut pas être habillée, laver le biberon et nettoyer les miettes de pain, dire "ça suffit les dessins animés maintenant" et ne pas répéter trop souvent "vite, on va être en retard". J'ai réussi à régler le porte-bébé comme il le fallait. Je peux faire un bisou à ma Crevette, d'une main pousser la poussette de la Sardine et de l'autre main me démener avec la porte de l'ascenseur. Sortir pour une simple promenade est toutefois un petit défi. Batailler avec la grande pour qu'elle mette ses bottes (et pas ses sandales d'été !), enfiler les minuscules bras de la petite dans le gros manteau, ne pas oublier le biberon de secours dans le sac à langer, chercher le bonnet de la Sardine qui n'a pas été rangé à sa place, manier la poussette entre les chaussures qui traînent dans l'entrée et la deuxième poussette (le couloir est devenu un vrai garage)...

Au bas mot, il faut un bon quart d'heure pour sortir. 5 bonnes minutes pour descendre les étages. Alors hier, quand il s'est mis à pleuvoir tout juste quand je venais de sortir dans la rue avec les deux enfants, je me suis mise en colère. En colère après le ciel, après moi-même, après cette vie devenue soudain si contraignante. Au retour, j'ai croisé la voisine du 3e qui m'a regardé manœuvrer difficilement la poussette avec à l'intérieur un bébé qui pleurait et à côté une petite fille qui refusait d'avancer et préférait s'assoir sur les marches d'escalier en boudant. J'ai senti soudain le poids de ma vie devenue curieusement si lourde. J'ai fait un sourire de convenance lorsque la voisine du 3e a dit à ma grande Sardine "Tu ne dis pas bonjour ?", mais la vérité c'est que j'avais envie d'envoyer tout balader. J'ai dit, Oui, oui, ce n'est pas si facile deux enfants si rapprochés. Et la voisine s'est décidée enfin à me tenir la porte, comme pour mieux me regarder me débattre avec l'énorme poussette et les petites mains rebelles. J'ai presque eu envie de lui rouler sur le pied. Mais je me suis finalement contentée d'esquisser un sourire jaune pour dire "Oui, ça rentre au millimètre dans l'ascenseur". Avant d'ajouter, "Au-revoir Madame, bonne fin de dimanche".

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